Résumé des épisodes précédents: je n’ai toujours pas trouvé qui avait pu dire:
“Ce que tu gardes pour toi est perdu à jamais, ce que tu partages est à toi pour toujours”
Mais j’ai trouvé des phrases approchantes:
“Ce que tu donnes, Momo, c’est à toi pour toujours; ce que tu gardes, c’est perdu à jamais !” Éric-Emmanuel Schmitt
“Ce que tu donnes t’appartient, mais ce que tu gardes est perdu à jamais.”Georges Ivanovitch Gurdjieff ou pas…
Tactique du jour: recherche toujours dans Google Livre mais sans guillemets (= pas la phrase exacte, le plus de mots). Les résultats sont inévitablement plus nombreux, mais le nombre n’est malgré tout pas délirant: 841.
Et en réalité seuls 3 résultats sont pertinents et ils sont tous en 1ère page :
Je vais aller vite sur “Sorcière ‽” de Venko Andonovski. Ce “cahier d’écrivain” date de 2014. Il est donc postérieur à tout ce que j’ai trouvé et ne peut donc être une source. En outre, la phrase que l’on y trouve est encore différente:
“Ce que tu donnes t’appartient, ce que tu gardes appartient à autrui.”
Je vais également aller vite sur la nouvelle revue française – Numéro 283 à 288 dans laquelle il y aurait écrit à la fois “Heidegger” et
“Seul ce que tu donnes t’appartient à demeure, ce que tu gardes est perdu pour toi”
Malheureusement, Google livre ne me propose qu’un aperçu riquiqui de la page qui contiendrait cette phrase, sans me la montrer:
Je retourne donc sur le Web avec une requête plus simple: “Seul ce que tu donnes” Heidegger.
Je trouve bien une citation:
Et je trouve aussi la traduction du discours en allemand fait devant sa tombe à l’occasion des 10 ans de sa mort et dans laquelle il est noté:
“Au mois de septembre 1969, Heidegger écrivit sur la première page d’un exemplaire de Hölderlin:
Seul ce que tu donnes demeure tien
Ce que tu gardes, bientôt sera perdu pour toi”
Est-ce qu’on peut confondre Schopenhauer et Heidegger ?
Concernant le 1er ouvrage maintenant, intitulé “Patrimoine littéraire européen: anthologie en langue française, Volume 4” rédigé par Jean-Claude Polet et édité par De Boeck université en 1993. On y trouve également deux citations approchantes:
“Ce que tu donnes t’appartient, ce que tu gardes est perdu.”
“Ce que tu donnes t’appartient, ce que tu détiens est perdu.”
L’ouvrage dont il est question est une anthologie. Il s’agit donc d’un regroupement de textes. Et ces phrases apparaissent:
- pour la 1ère, dans un texte de M-F Brosset daté de 1828 intitulé “Le chevalier à la peau de panthère – Première histoire de Rostévan (Chapitre I et II).” Il est indiqué par ailleurs que
“M-F Brosset a dû travailler dans des conditions difficiles, n’ayant à sa disposition que quelques dictionnaires rudimentaires. Sa traduction était condamnée à des inexactitudes inévitables”.
Réaction immédiate: si c’est une traduction, cette phrase n’est pas de lui mais de l’auteur de l’ouvrage traduit…
- Pour la seconde, dans un deuxième texte, également une traduction. Mais cette fois on en sait un peu :
Le Chevalier à la peau de panthère/Chota Rousavéli; traduit du géorgien par Gaston Bouatchidzé – … 1989
Je ne suis plus à ça près.
Je trouve rapidement l’intégrale du texte traduit par Gaston Bouatchidzé et sa variante de la phrase (Strophe 50).
Je me renseigne ensuite sur M-F Brosset (Marie-Félicité Brosset) . Ce qui me permet de trouver sa traduction en intégrale sur le site Gallica dans le “Journal asiatique : ou recueil de mémoires, d’extraits et de notices relatifs à l’histoire, à la philosophie, aux sciences, à la littérature et aux langues des peuples orientaux… /” publié par la Société asiatique. Woaw !
Le texte indique “Première Histoire de Roséwan, roi d’Arabie, traduite du roman géorgien l’Homme à la peau de tigre (…)”. La phrase apparaît page 281.
Je parts enfin à la recherche de ce fameux Chota Rousavéli, l’auteur. Et bien je crois que je tiens ma source:
“Chota Roustaveli (né vers 1172 en Géorgie ; † vers 1216, probablement à Jérusalem), en géorgien : შოთა რუსთაველი, ou Chota de Roustavi, était un écrivain géorgien du XIIe siècle. Considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs représentants de la littérature médiévale, on le surnomme « l’Homère du Caucase ».
Il est l’auteur de l’épopée Le Chevalier à la peau de tigre. Composée de 1671 quatrains, elle est considérée comme un chef d’œuvre en Géorgie. Chacune des familles géorgiennes possède au minimum un exemplaire illustré de ce livre, et dans l’éducation géorgienne les élèves se doivent d’en connaître une partie des quatrains.”
“Le Chevalier à la peau de panthère ou L’Homme à la peau de tigre (en géorgien : ვეფხისტყაოსანი (Vepkhist’q’aosani), littéralement « Celui à la peau de panthère ») est un poème géorgien d’environ six mille vers écrit par Chota Roustavéli à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. Il est considéré comme « le sommet de la littérature géorgienne » et tient depuis des siècles une place éminente dans le cœur des Géorgiens : la majorité d’entre eux est capable de citer de mémoire des strophes entières du poème et, jusqu’au début du XXe siècle, un exemplaire faisait partie de la dot de toute jeune mariée.“
Nous aurions donc un gagnant ce soir !
Sauf que:
Roustavéli affirme adapter en géorgien un conte persan :
« La présente histoire persane en géorgien fut transposée,
Perle solitaire, avec soin de mains en mains redéposée,
Je l’ai trouvée, redite en vers, j’y ai mon âme déposée. »— (str. 9)
De fait, j’accorde 1 point pour la sagesse orientale (persan > langue iranienne > Moyen Orient):
Et je vous envoie bouquiner un petit article intéressant sur l’Orient et l’Occident.
De là à dire que c’est un proverbe soufi… pourquoi pas. Sur le site ordre-soufi-international-france.org il est bien écrit:
“C’est surtout en Perse que fleurissaient les écoles soufies (…)”
Ce que je peux dire en revanche, sans me tromper je pense, c’est que ce n’est pas un proverbe japonnais… sauf si le conte perse est en réalité adapté d’un conte japonnais…
Fin
[crédit photo “Image à la Une”: Mihály Zichy [Public domain], via Wikimedia Commons]
Je remercie Romain sans qui toutes ces recherches n’auraient jamais eu lieu…
Bienheureux petitspois.
Avec eux, rien ne se perd puisque tout nous est donné.
soit, en georgien:
ნეტარ petitspois.
მათთან ერთად, არაფერი იკარგება, რადგან ყველაფერი მოცემულია ჩვენთვის.
C’est, du moins, ce que prétend Google traduction avec qui on ne s’ennuie jamais.