Tout le monde sait que le poisson d’avril est une fausse nouvelle qu’on fait accroire à quelqu’un, une course inutile qu’on lui fait faire le premier jour d’avril, qui est appelé, pour cette raison, la journée des dupes. Mais il est très peu de personnes qui sachent au juste ce qui a donné naissance à une telle mystification, et il semble que les étymologistes aient prie à tâche de la renouveler pour leurs lecteurs, en voulant en expliquer l’origine. Quelques-uns prétendent que la chose et le mot viennent de ce qu’un prince de Lorraine, que Louis XIII fesait garder à vue dans le château de Nancy, se sauva en traversant la Meurthe à la nage, le premier avril, ce qui fit dire aux Lorrains qu’on avait donné aux Français un poisson à garder; mais la chose et le mot existaient avant ke règne de Louis XIII. D’autres les rapportent à la pêche qui commence au premier jour d’avril. Comme la pêche est alors presque toujours infructueuse, elle a donné lieu, suivant eux, à la coutume d’attraper des gens simples et cérdules, en leur offrant un appât qui leur échappe comme le poisson, en avril, échappe aux pêcheurs. Fleury de Bellingen pense que le poisson d’avril est une allusion aux courses que les Juifs, par manière d’insulte et de dérision, firent faire au Messie, à l’époque de sa passion, arrivé vers le commencement d’avril, en le renvoyant d’Anne à Caïphe, de Caïphe à Pilate, de Pilate à Hérode, et d’Hérode à Pilate. Une telle origine paraît même vraisemblable, dans un temps de grossière piété comme le moyen âge, où l’on traduisait en spectacles et divertissements, dans les rues comme sur les théâtres, les histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament, le tout pour la plus grande gloire de Dieu et pour l’édification des fidèles. Cependant il est peu probable que le mot poisson ne soit autre que celui de passion corrompu par l’ignorance du vulgaire, ainsi que le prétend l’auteur cité. Il y a sur ce mot une seconde conjecture, d’après laquelle, bien loin d’avoir été introduit par altération, il l’aurait été par choix, en remplacement du nom de Christ qui ne pouvait figurer dans un jeu à cause de la coutume religieuse de na jamais le prononcer sans faire quelque démonstration de respect; et le choix aurait été d’autant plus naturel, que les chrétiens primitifs, obligés de couvrir leur doctrine d’un voile mystérieux pour se soustraite aux persécutions, avaient désigner le divin législateur par le terme grec ΙΧΘΥΣ (poisson) , dans lequel se trouvent les initiales des cinq mots sacrés Ιησούς Χριστός, Θεός, Υιός, Σωτήρ, Jésus, Christ, Dieu, Fils, Sauveur.
L’explication de Fleury de Bellingen, ainsi rectifiée, s’accorderait assez bien avec l’opinion de ceux qui regardent le poisson d’avril comme une institution politique conçue par le clergé, à une époque où l’année commençait au mois d’avril et où l’imprimerie n’avait pas encore rendu commun l’usage des calendriers; mais est-il certain que cette histoire soit d’une date aussi ancienne ? J’avoue que je n’ai pu découvrir aucun document qui le prouve, tandis que j’en ai trouvé qui autorisent à penser le contraire.(…)Tout porte à croire [que le jeu ne fut établi, ou du moins ne fut nommé comme nous le nommons maintenant, que vers la fin du seizième siècle, précisément lorsque l’année cessa de commencer en avril, conformément à une ordonnance que Charles IX rendit en 1564, et que le parlement n’enregistra qu’en 1567. Par suite d’un tel changement, les étrennes qui se donnaient en avril ou en janvier indifféremment , ayant été réservées pour le jour initial de ce dernier mois, on ne fit plus le premier avril que des félicitations et des plaisanteries à ceux qui n’adptaient qu’avec regret le nouveau régime; on s’amusa à les mystifier par des cadeaux simulés ou par des messages trompeurs, et comme au mois d’avril vient de quitter le signe zodiacal des poissons, on donna à ces simulacres le nom de poissons d’avril.(…)